Droits de passage et servitudes

L’on me demande souvent dans le contexte de ma pratique de notariat si quelqu’un peut acquérir une servitude sur le terrain de son voisin suite à un usage de 10 ou 30 ans. Par exemple, quelqu’un est propriétaire d’une parcelle de terrain séparée du bord de l’eau par le terrain d’un voisin. Or cette personne et sa famille utilisent un sentier situé sur le terrain de ce voisin et menant au bord de l’eau depuis des temps immémoriaux.  Un jour, cette parcelle de terrain est vendue et le nouveau propriétaire bloque l’accès au sentier. Peut-on invoquer l’utilisation de ce sentier pour une période de plus de 30 ans afin d’en réclamer un droit d’accès acquis? La réponse à cette question en surprendra plusieurs. Le Code civil du Québec est ferme sur cette question : une servitude ne peut être créée sans titre. L’utilisation d’un sentier, même pour des générations, est insuffisante à créer un tel droit. Cette personne vient tout juste de perdre son droit de passage, à moins de s’entendre avec son voisin pour la création d’une servitude de passage.

Une servitude est une charge qui est imposée sur une parcelle de terrain en faveur d’une autre parcelle de terrain. La plus évidente est le droit de passage tel que décrit ci-dessus, mais d’autres exemples comprennent le droit de pêcher et de chasser, le droit d’empêcher le blocage d’une vue, le droit d’empêcher l’abattage d’arbres, le droit d’utiliser un bord de l’eau à des fins récréatives.

Dans certains cas, tels que le droit de passage, l’obligation imposée est en faveur d’un autre lot. Par exemple, le droit de passer à travers la propriété d’autrui sera transmis à un propriétaire subséquent en autant que le droit a été rédigé correctement dans l’acte original et qu’il a été publié au bureau d’enregistrement du Québec. Dans de tels cas, nous parlons de l’existence d’une servitude réelle.

Dans le cas d’une servitude personnelle, l’obligation imposée à un lot est en faveur d’une personne et ne durera que tant que cette personne est en vie. Un exemple serait le droit de chasser sur une parcelle de terrain qu’une personne garderait pour elle ou lui-même lors de la vente de son terrain. Ce droit, qui serait opposable à tout nouveau propriétaire du domaine de chasse, cesserait d’exister lorsque le chasseur désigné décèderait. Il pourrait très bien arriver que le libellé d’un droit de passage est tellement ambigu et mal rédigé qu’il serait interprété comme une servitude personnelle au lieu d’une servitude réelle. Cette servitude ne serait alors pas transmises aux futurs propriétaires du terrain. C’est pourquoi il est important de demander l’aide d’un professionnel du droit immobilier pour la rédaction de telles clauses.

Il y a des cas où il est nécessaire de créer une servitude lorsqu’un bâtiment a été construit sur un terrain de manière non conforme à la loi. Par exemple, le Code civil du Québec précise que nul ne peut avoir une vue directe sur la propriété de son voisin à moins que l’ouverture (ou fenêtre) soit située à plus de 1,5 mètres de la ligne de démarcation. Ces «vues illégales» doivent être corrigées par une servitude lorsque la propriété est vendue. Un notaire peut aider à constituer une servitude de vue sur le terrain du voisin en faveur du bâtiment dont la construction n’a pas respecté la loi. Les voisins sont généralement enclins à collaborer, mais des problèmes surgissent parfois.

Une servitude peut aussi être créée dans le cas d’un terrain enclavé qui ne dispose d’aucun accès pratique à une voie publique. Si aucun des propriétaires des terrains avoisinants n’est disposé à offrir un droit de passage au propriétaire du terrain enclavé, l’article 997 du Code civil du Québec donne à cette personne le droit de revendiquer un droit de passage au propriétaire du fonds qui offre l’accès le plus naturel à la voie publique.  Il devra alors verser à ce propriétaire une indemnité proportionnelle au préjudice que la création de ce droit pourrait causer.

Si vous êtes bénéficiaire d’une servitude, vous devez savoir que des servitudes sont traitées par la loi comme un «mal nécessaire» en ce sens que l’empiètement sur la propriété voisine doit être minimal et causer le moins de préjudice possible au propriétaire du terrain sur lequel la servitude est établie (le fonds servant). Cela signifie que le propriétaire de ce terrain peut déplacer l’assise de la servitude vers un nouveau site en autant que cette relocalisation n’est pas moins pratique pour le bénéficiaire de la servitude. En outre, il incombe généralement au bénéficiaire de la servitude de prendre les mesures nécessaires à l’exercice de son droit en autant que les modifications apportées n’aggraveront pas la situation du fonds servant. Rappelez-vous qu’une servitude non utilisée est perdue après 10 ans.

© Geneviève Parent, 2010